Kauffenheim : Malgré-nous, un déni alsacien
Malgré-nous, un déni ... alsacien ?
Devant un public de plus d'une centaine de personnes dans la salle des fêtes de Kauffenheim mardi 23 août 2022 , l'historien Christophe Woehrlé spécialiste des prisonniers de guerre a tout d'abord rappelé le cadre historique.
En 1942, les Alsaciens et Mosellans sont juridiquement des Français. Moins de 5000 jeunes hommes ont rejoint volontairement l'armée allemande après une intense propagande de l'administration nazie qui a pris possession de l'Alsace depuis l'été 1940. Ce nombre est bien insuffisant aux yeux des Gauleiter qui décrètent l'incorporation de force le 19 août 1942 en Moselle et le 25 août 1942 en Alsace.
Ce sont 103 000 alsaciens et 31 000 Mosellans qui seront incorporés dans l'armée allemande à partir de ces dates.
Les récalcitrants ne s'exposent pas seulement à la peine de mort, ils exposent aussi leurs familles en vertu de la Sippenhaft. 12 000 jeunes hommes vont tenter de fuir. Ceux qui ne sont pas fusillés sont envoyés en camp et leurs biens sont confisqués. Au total 45 000 Alsaciens-Mosellans seront internés dans le camp de Schirmeck et 27 000 personnes déportées en Allemagne. Il s'agit d'opposants politiques, de résistants, de récalcitrants à l'incorporation de force et de leurs familles.
Selon certaines sources 24 000 combattants Alsaciens-Mosellans mourront au front et 16 000 en captivité dont 4 000 au camp de Tambov.
Mais pour autant, étaient-ils tous des incorporés de force ? Le droit international interdisait d'enrôler des hommes d'une autre nationalité (les Alsaciens Mosellans sont ressortissants français) et l'incorporation de force est donc un crime de guerre. Mais certains parmi ces Malgré-Nous ont tout de même adhéré à l'idéologie nazie. Après la guerre, la confusion est venue de l'appartenance de nombreux alsaciens mosellans aux régiments SS. Corps d'élite avant-guerre, les SS, durement éprouvés par les combats sur le front de l'Est, se reconstitue avec de nombreux alsaciens mosellans suite à un accord entre Himmler et le Gauleiter Wagner. La moitié de la classe 1926 est versée directement dans la SS alors que les jeunes de seulement 18 ans ne le demandaient pas. Les jeunes de 17 ans des classes 1927 et 1928 seront eux majoritairement intégrés dans la SS. Sur les 13 Malgré-Nous du procès de Bordeaux (qui a jugé les responsables du massacre de 642 civils à Oradour sur Glane le 10 juin 1944) beaucoup sont issus de ces classes d'âge immédiatement intégrées à la SS.
La mention « Mort pour la France »
Après la réaction des Alsaciens au jugement de ce procès de Bordeaux en 1953, l'administration française organise des commissions qui statue pour chaque Malgré-Nous s'il a bien été incorporé de force ou s'il avait manifesté une adhésion au régime nazi. Dans ce cas la mention "mort pour la France » lui sera refusé. La complexité s'accroît entre le statut de malgré-Nous, celui de « mort pour la France » et les erreurs que ces procédures ont pu générer.
Dans leur préparation de ce mois de manifestations consacrées aux Malgré-Nous, plusieurs communes de l'Uffried avaient fait appel à Christophe Woehrlé pour étudier des situations individuelles. L'historien a ainsi pu présenter plusieurs cas pour démontrer cette complexité. A Roeschwoog il a ainsi pu obtenir la réhabilitation d'un jeune séminariste Malgré-Nous à qui la mention « Mort Pour la France » avait été refusée en raison de la nationalité de son grand-père et de l'implication de son père (pas de la sienne) dans l'administration nazie. Un autre exemple dans l'Uffried concerne un officier réfractaire honoré largement alors qu'il avait en fait de fortes accointances avec l'idéologue et l'organisation nazie.
En 3 ans l'historien, qui a un accès privilégié aux archives françaises à Caen, Vincennes et Pierrefitte, a pu réhabiliter 250 Malgré-Nous qui n'avaient pas obtenu la mention « Mort pour la France ». Il a regretté que les élus alsaciens n'aient pas obtenu le retour des archives et des dossiers des Malgré-Nous en Alsace et qu'un centre de documentation historique ne soit pas créé en Alsace pour faire toute la lumière sur les trajectoires personnelles des Malgré-Nous. 80 ans après le décret Wagner, le temps des témoins est révolu : il est venu le temps des historiens et l'Alsace ne s'est pas organisé pour cela. Outre l'indemnisation bien plus tardive que dans d'autres pays (les Malgré-Nous ont été indemnisé à partir de 1959 au Luxembourg et seulement dans les années 1980 en France), c'est un travail de recherche qui reste à poursuivre.